Autopsie des Études Africaines en Europe Occidentale: conclusions de la participation au III CIJIA 2023 sur l’Afrique à Grenade (Espagne)


Du 14 au 15 Septembre 2023 s’est tenu le III Congrès International des jeunes chercheurs sur l’Afrique (en sigle CIJIA) organisé par les Universités de Granada et de Valladolid à Grenade dans la région d’Andalousie en Espagne. Le thème principal de cette troisième édition était: «Défis et alternatives pour l’avenir du globe : Résistance de l’Afrique et de ses diasporas»


L’Afrique et l’Europe partagent en commun plusieurs siècles d’histoire. Une histoire façonnée et minutieusement dictée en partie par les conquérants, c’est-à-dire par celles et ceux qui gagnèrent la bataille des conquêtes territoriales d’antan. Il apparait donc nécessaire que cette Histoire tricotée de travers par des siècles de découverte, d’imagination et d’invention macabre, parfois fantasmagorique, soit récupérée pour ensuite la polir et la purifier de ces écarts malencontreux ou volontaires.

Cet exercice savant, scientifique et de recherche approfondie, et voire de débat, d’échanges lors des congrès et colloques internationaux, ne peut se faire qu’à travers un brassage culturel et pluridisciplinaire entre les peuples sans distinction de races et sans a priori. C’est donc aux nouvelles générations de chercheurs africains ou afro-européens et d’européens ou d’euro-africains d’interroger d’une part le passé et d’autre part l’avenir afin de briser ces discours teintés de méconnaissance des réalités africaines d’hier et d’aujourd’hui, pour ainsi construire ensemble ce nouveau narratif d’une Afrique connue et protagoniste de son destin.

Épistémologie des Études Africaines

Le récit de la pensée européenne sur l’Afrique est d’abord un récit truffé d’expressions malavisées définissant l’Afrique, les africains et les réalités africaines. On parle de l’Afrique comme s’il s’agissait d’un pays, d’une culture et d’un territoire uniforme. Tandis que l’Afrique comme l’Europe ou l’Asie est constituée de plusieurs diversités culturelles, linguistiques, raciales, sociologiques et territoriales. Encore une fois, on parle d’Afrique comme un ensemble racial, alors qu’on y rencontre des populations noires, arabes, indiennes, juives, asiatiques et issues de plusieurs métissages.

En outre, il n’est pas rare d’entendre ou d’explorer une étude sur un pays africain et de découvrir avec stupeur dans les conclusions, des allusions généralisatrices sur l’Afrique ou sur ce qu’est l’africain. Mieux, par exemple, on parlerait du peuple sénégalais, et de lire ou d’entendre dire les «africains» comme si le Sénégal représentait à lui seul les cultures ou les peuples d’Afrique.

Dans le même élan, nous nous sommes demandé; lorsqu’on parle des études africaines, à quoi fait-on réellement référence? Parle-t-on des Afriques ou de l’Afrique noire?

En toute clarté, notre compréhension des choses ne nous laisse pas si perplexe que ça dans la mesure où ce qui ressort de notre entendement, lorsqu’on parle des Études africaines, force est de constater que les mondes noirs africains occupent une place majeure. Si telle serait la pensée implicite, alors pourquoi ne parlerons-nous pas tout simplement d’Études Noire-Africaines ou d’Afrique Noire? Il n’y a pas de racisme à vouloir contextualiser ou à déterminer avec précision les contours d’un domaine d’études scientifique donné.

L’épistémologie africaine doit prendre possession des études africaines et ainsi devenir la mère des sciences; premier verrou, condition sine qua non dans l’appréhension des savoirs africains riches de ses diversités les plus cosmopolites.

Mais, qu’est-ce qu’est en soi l’épistémologie des études africaines? De prime abord, l’essence même de l’épistémologie consiste à étudier, à analyser et à critiquer les savoirs, et ici en l’occurrence les études africaines. Elle permet donc de mettre à nu des incohérences conceptuelles, des controverses scientifiques, des analyses imparfaites ou inachevées. L’épistémologie c’est aussi la critique des méthodes et des découvertes scientifiques. En gros, l’épistémologie, c’est l’étude critique d’une discipline scientifique.

Alors, pourquoi l’épistémologie des études africaines doit-elle occuper plus d’espace dans les études africaines qu’auparavant? Tout d’abord, il est important de rappeler que la plupart des africanistes les plus connus à travers le monde sont des auteurs et des intellectuels occidentaux vivant en Occident et écrivant sur l’Afrique depuis l’Occident. La présence d’auteurs et d’intellectuels d’origine africaine étant soit mineure ou très peu considérée. Et puisque les savoirs produits par ces auteurs constituent un matériel conséquent au service des politiques mondiaux orientées vers l’Afrique, il est plus que nécessaire que les auteurs africains prennent massivement part à ce travail afin de mieux définir les contours d’un domaine d’étude qui participe à la reconquête philosophique et culturelle d’un continent situé à la croisée des chemins.

Dans son monumental ouvrage L’Orientalisme, l’intellectuel palestino-américain Edward Saïd y fait une critique acerbe des études orientales. Il déclare somme toute que l’Orient n’existe que parce qu’inventé par l’imagination occidentale. Et de ce fait, il ne correspond pas à la réalité telle que vécue dans cette partie du monde. L’orientalisme serait donc cet ensemble de savoir conçu par l’Occident, depuis l’Occident et pour l’Occident aux fins de conquérir pensées, territoires et civilisations.

On comprend donc par-là, ensemble avec le Professeur Mbuyi Kabunda (1955-2022) dans Mitos y realidades de África Subsahariana, Los Libros de la Catarata, 2009, Président Honoraire de l’Association Espagnole des Africanistes (20215-2022) et Professeur Emérite des Universités Autonome de Madrid (Espagne) et de Lubumbashi (République Démocratique du Congo), la nécessité d’examiner en profondeur et d’extirper en même temps des études africaines certains discours imprégnés d’une méconnaissance impressionnante des réalités les plus banales et transcendantales d’un Continent qui doit être analysé de l’intérieur, au contact de sa diversité culturelle, linguistique, raciale, sociologique, politique et géographique. Ce travail doit être poursuivi par la nouvelle génération d’africanistes ou de chercheurs sur l’Afrique et ce sans préjuger des origines.

L’Afrique analysée par les africains? Il n’est par question ici d’affirmer que l’Afrique est la réserve cachée des intellectuels africains. Au contraire, c’est dans le cosmopolitisme scientifique qu’émerge des nouveaux savoirs.

La critique des études africaines coloniales et post coloniales doit être en évolution constante. Et ce travail doit pouvoir être mené tant par les africains eux-mêmes que par les chercheurs occidentaux. 

Le III CIJIA et ses travaux

En résumé, ce qui ressort des conclusions du troisième Congrès International des jeunes chercheurs sur l’Afrique tenu les 14 et 15 septembre 2023 à Grenade (Espagne), c’est cette nécessite de contribution pluridisciplinaire à la compréhension des Afriques.

Parmi les nombreuses interventions nous ne retiendrons que quelques-unes.

  1. Lors de la session inaugurale, le Professeur Justo Bolekia Boleká de l’Université de Salamanca (Espagne) et originaire de la Guinée-Equatoriale, a mis en lumière la place que doit occuper les langues africaines dans le développement de l’Afrique. Selon lui, tant que les dirigeants africains ne mettront pas au centre des priorités l’introduction des langues africaines dans le quotidien des populations, l’Afrique ne connaitra aucun essor à moyen ou long terme. La réappropriation des langues africaines serait donc pour lui la condition sine qua non, mieux l’une des voies vers la reconstruction, voire, la construction d’un continent encore aujourd’hui considéré par certaines puissances occidentales ou orientales comme des pré carré ou des zones d’influence selon qu’on y parle français, anglais, espagnol ou portugais, ou selon qu’on y soit à prédominance économique, financière ou militaire.
  2. Dans la même lancée, la Professeure Ezra Alberto Chambal Nhampoca de l’Université Eduardo Mondlane(Mozambique), insiste sur le fait que lorsqu’il faut parler de l’Afrique, il est nécessaire de s’abstenir à la segmenter en usant des qualificatifs la désignant sous des appellations coloniales telles qu’Afrique francophone, Afrique Anglophone, Afrique Lusophone ou Afrique Hispanophone. Pour elle, l’Afrique doit pouvoir continuer d’exister sans être rattachée à ces qualificatifs réducteurs.
  3. Dans son intervention portant sur la pêche artisanale au Sénégal, Gambie et Guinée Bissau, Xènia Domínguez Font a explicité l’une des causes pouvant expliquer la croissante immigration en Europe des populations originaires de ces pays en quête d’un quotidien et d’un meilleur futur. En effet, certains des États africains situés sur l’océan Atlantique; parce qu’ayant peu à cœur de développer des véritables politiques nationales en matière de pêche maritime, et parce que dépourvus de moyens industriels permettant d’exploiter les bassins maritimes d’appartenance et voire la haute mer, certains de ces pouvoirs public sont fait le choix d’établir des accords commerciaux avec certaines compagnies des pays d’Asie et de l’Union Européenne qui opèrent massivement sur ces territoires maritimes sans tenir en compte le caractère durable de ces ressources aquatiques. Ces activités de pêches industrielles contribuent par ailleurs à appauvrir les eaux les plus accessibles aux populations des ressources aquatiques nécessaire à la survie des activités économiques locales telle que la pêche artisanale.
  4. Les Professeurs Assemien Viviane Espse Adiko et Yapi Kouassi Michel, ont quant à eux aborder la thématique des luttes féminines en Afrique et en Amérique Latine et Caraïbes dans le processus des libérations du joug colonial avec une attention particulière sur la Côte d’Ivoire et Haïti.
  5. Lucía Navarro Martín a analysé quant à elle l’imaginaire collectif espagnol sur l’Afrique dans les années du franquisme et son héritage aujourd’hui.
  6. Issau Camacoza du Centre d’Études Africaines de l’Université de Porto (Portugal) a quant à lui démontré avec brio, partant de l’analyse historique, comment la bataille de Kuito Kuanavale de 1988 dans la guerre civile angolaise a contribué à consolider, paradoxalement, l’intégration économique régionale de la Communauté de développement de l’Afrique australe (plus connu sous l’appellation SADC en anglais).
  7. Enfin, Blanca Consuelo Wynter Sarmiento originaire de la Colombie, a démontré dans son analyse comment la nouvelle jeune génération des sahraoui(e)s tentent tant bien que mal, grâce à l’activisme digital, à faire connaitre la cause du Sahara Occidental, ancienne colonie espagnole située entre la Mauritanie, l’Algérie et le Maroc et revendiquée depuis 1976 par le Royaume chérifien du Maroc et la République Arabe Sahraouie Démocratique.

Lors de la session finale, un vibrant hommage a été rendu à l’un des plus fervents africanistes de notre temps le Professeur émérite Mbuyi Kabunda décédé le 03 novembre 2022. Ont pris part à ces conclusions les Professeur(e)s Théophile Ambadiang, Soledad Vieitez Cerdeño et Mercedes Jabardo Velasco.

Bitouloulou Christopher Jivot

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