Cet article offre aux lecteurs les outils nécessaires pour analyser le basculement politique et géopolitique en cours en Afrique Subsaharienne.
Dans une note diplomatique rédigée par le Centre d’Analyse, de Prévision et de Stratégie (en sigle CAPS) du Ministère français de l’Europe et des Affaires Étrangères parue le 24 mars 2020, il y est fait mention des risques, mieux, des conséquences politiques qu’aurait la crise sanitaire mondiale du Covid-19 sur la stabilité des régimes politiques en Afrique subsaharienne en particulier et dans certains États d’Afrique francophone en général.
Cette Note du CAPS intitulée «l’effet pangolin: la tempête qui vient en Afrique?» qui à cette époque fut fortement commentée dans la presse francophone prédisait en son temps ce qui suit: «Cette crise pourrait être le dernier étage du procès populaire contre l’État, qui n’avait déjà pas su répondre aux crises économiques, politiques et sécuritaires.»
Certains États du Sahel, c’est-à-dire les pays situés tout autour du désert du Sahara (le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Tchad et la Mauritanie), étaient considérés par le CAPS comme des États «défaillants» et à ce titre ils faisaient particulièrement l’objet d’une analyse apocalyptique dans la mesure où pour les analystes du Centre d’Analyse, de Prévision et de Stratégie du Ministère français de l’Europe et des Affaires Étrangères il y avait probabilité d’avènements d’un nouvel ordre politique et sociétal qui concourraient à la déstabilisation politique des régimes en place. À l’opposé, d’autres États «aux institutions plus solides» ou «autoritaires» tels que «le Sénégal et le Rwanda» toujours selon le CAPS, étaient mieux outillés et préparés à tenir bon face à d’éventuels mouvements de contestation citoyenne ou politique.
Si le terme coup d’état n’apparait nulle part dans cette note d’analyse de plus de six pages, il est évident somme toute que le CAPS y faisait allusion. Ainsi, encourageait-il déjà le gouvernement français: «à se positionner clairement et rapidement sur la fin d’un système et sur une transition». Et par ricochet à détecter dès lors d’autres acteurs, c’est-à-dire des leaders politiques, militaires ou de la société civile susceptibles d’incarner demain une alternative possible à la tête de ces États et ainsi faisant la France pouvait espérer préserver son influence et ses intérêts.
Covid-19, instabilités politiques et nouveau narratif de la pensée africaine
Comme énoncé plus haut, dès 2020 lors de la pandémie du Covid-19, les autorités politiques françaises étaient largement informées sur l’instabilité politique à venir des États situés dans son espace «originel» (dû notamment à son passé de puissance coloniale en Afrique) d’influence.
Néanmoins, il apparait aujourd’hui à la vue de la perte de l’influence progressive de la France dans cette partie de l’Afrique Subsaharienne, que le gouvernement français soit n’était pas suffisamment outillé pour y faire face, soit il n’avait pas su anticiper et pris des mesures fortes, voire contingentes pour tenter de négocier diplomatiquement ou par d’autres moyens la préservation d’une bonne partie de ses intérêts (économiques, géostratégiques, miniers, énergétiques, etc.).
Partant, peut-on comprendre par-là, que l’élite politique française aux affaires ait plutôt privilégier d’avancer coûte que coûte et de préserver par tous les moyens possibles une certaine classe politique africaine souvent à la solde de ses intérêts dans la région (comme on peut le constater au Niger), contre les réels détenteurs du pouvoir coercitif et politique des États en question?
C’est justement là que le pragmatisme politique français a fait défaut, à l’opposé de certaines puissances mondiales telles que la Russie, la Chine, la Turquie, etc.
Dans la même note du CAPS, il y est fait état de l’influence des réseaux sociaux et de l’emprise qu’auraient certains influenceurs africains ou afro-européens sur le débat public africain portant sur les questions politiques, économiques, sociales et voire sécuritaire. Selon les analystes français, la région d’Afrique francophone est d’autant exposée à cette influence des réseaux sociaux, dans la mesure où la parole publique qui est souvent confisquée par les régimes en place qui censurent et cloisonnent trop souvent la liberté d’expression et toutes formes de critiques contre ses régimes, s’y retrouvent en nombre croissant grâce notamment à la vulgarisation des smartphones et du coût assez bas de l’internet.
Puisque cette parole enfermée dans la place publique se retrouve en grand nombre sur l’espace numérique, on peut facilement en analysant certains articles, commentaires et vidéos,y détecter un nouveau narratif de la pensée collective africaine sur les questions internationales, africaines, politiques, sécuritaires, économiques et culturelles. La prise de position de la jeunesse africaine sur ces questions tend généralement vers un certain protectionnisme idéologique, disant, un certain nationalisme africain (panafricanisme) qui verrait de mauvais œil l’interventionnisme occidental sur certaines questions afro-africaines.
Pour autant, doit-on y voir un certain anti-occidentalisme, mieux un discours anti-français?
À vrai dire, les africains n’ont pas en aversion la France ou les français, ou mieux l’Occident. Il n’y a qu’à observer la manière dont sont accueillis et considérés les immigrés occidentaux vivant en Afrique, et ce quel que soit la raison de leurs séjours dans les pays africains. Beaucoup se sentant comme chez eux y vivent heureux et construisent de nombreuses fortunes.
En revanche, ce qui ressort de ce nouveau narratif africain, c’est qu’il y aurait une certaine attitude ou un certain discours méprisant et condescendant venant d’une partie de l’élite politique et intellectuelle française envers le continent, sa jeunesse, son élite et ses dirigeants qui serait selon ce narratif, teinté d’une certaine arrogance couplée à une nouvelle forme de néocolonialisme. Cela dit, il est important d’éviter l’utilisation de certains qualificatifs ou termes, car ils ne correspondentpas à la réalité des faits tels qu’analysés. La même analyse est partagée par l’intellectuelle et célèbre romancière et écrivaine française d’origine camerounaise Calixthe Beyala, femme de réseaux très proche du parti socialiste français, lors d’une émission de télévision réalisée vers janvier 2023 sur une chaine gouvernementale française de renom, LCP – Assemblée Nationale. Une recherche croisée sur le site web américaine YouTube permet de retrouver facilement la dite émission.
Le monde occidental et la reconquête de son influence en Afrique
Comment l’Occident peut-elle faire face à ce bouleversement géopolitique, deses rapports culturels et de bon voisinage entre elle et l’Afrique, et espérer tirer l’épingle du jeu dans cette lutte acharnée de positionnement entre plusieurs puissances mondiales sur le continent africain?
Les États-Unis d’Amérique ont tardivement pris conscience de la perte de l’influence à venir du monde occidental en Afrique. Pour ce faire, tout en jouant la carte collective avec certaines anciennes puissances coloniales telles que la France, la Belgique, la Grande-Bretagne, l’élite politique américaine joue simultanément la carte personnelle et ce dans l’optique de préserver ou d’accroitre un tant soit peu son influence sur le continent, là où chinois, turcs et russes ont réussi progressivement à développer leur influence grâce notamment à la diplomatie centrée sur la formation universitaire et professionnelle de la jeunesse africaine dans leurs universités à travers par exemple la distribution de nombreuses bourses d’études.
Ainsi, dans ce même élan, les États-Unis ont instauré différents programmes de formations de l’élite africaine à l’instar du Mandela Washington Fellowship, programme phare de l’Initiative pour les jeunes leaders africains (YALI) du gouvernement américain qui permetà plus de 700 jeunes africains de se former dans les meilleures universités américaines. Le même constat est fait auprès des cadres des services de sécurités (armées et polices) qui se forment en milliers dans les prestigieuses académies militaires aux États-Unis d’Amérique.
Deuxièmement, la prise en considération de la parole des africains, mieux de la nouvelle élite intellectuelle et politique africaine sur les questions afro-africaines par l’élite politique occidentale peut en outre aider à calmer les ardeurs de beaucoup et favoriserait une certaine tendance politique équilibriste qui contribuerait à aplanir les rapports entre ex-puissances coloniales et l’Afrique de demain.
En définitive, l’instabilité politique constatée en Afrique francophone successivement aux conséquences économiques et sociales survenues au lendemain de la crise sanitaire mondiale du covid-19, puis l’avènement du conflit russo-ukrainien qui a eu un impact majeur sur le coût de la vie causée par l’inflation mondiale des denrées alimentaires et du prix des matières premières, trouve aussi ses fondements dont le déséquilibre, mieux la fragilité des systèmes politiques (inclus le régime politique) tels qu’établis dans ces pays.
L’Afrique à l’horizon 2030: quelles perspectives politiques?
La recrudescence des régimes miliaires observée ces dernières années en Afrique au lendemain des coups d’État (Mali en 2020; Guinée en 2021; Tchad en 2021; Burkina Faso en 2022; Niger en 2023; Gabon 2023), est une fois de plus la preuve, d’une part de la faillite des systèmes politiques en place et particulièrement des régimes politiques, trop souvent accommodant pour les dirigeants politiques, avec la facilité qui leur ait offert de changer aisément les constitutions politiques en vue de briguer des mandats présidentiels illimités (Côte-d’Ivoire, Sénégal, Cameroun, Congo-Brazzaville, République Centrafricaine, Gabon, etc.). C’est aussi la preuve d’autre part, de la faillite d’une certaine partie de l’élite politique trop souvent moins occupée à privilégier l’intérêt général en réaménageant des systèmes politiques (régime politique, organisation social, structure économique) capables de répondre aux exigences citoyennes de notre temps.
La «défaillance» de certains États d’Afrique Subsaharienne est donc le fruit d’un ensemble de situations inhérentes à la structure même du système politique en place, puis d’une certaine apathie de l’élite politique aux affaires, plus intéressés à satisfaire leurs intérêts personnels au lieu de répondre avec satisfaction aux besoins primaires (manger, se loger, travailler, etc.) et secondaires (bien-être social) de leurs mandants, c’est-à-dire le peuple.
Eu égard à ce qui précède, il apparait de plus en plus évident que quiconque aurait les moyens politiques ou sécuritaires d’occuper démocratiquement ou militairement le pouvoir exécutif dans ces États aux systèmes politiques «défaillants» pourrait ne pas rencontrer d’obstacle sur son chemin, dès lors que les populations sont conscientes et témoins du mal qui mine la société.
Fort reste malheureusement à parier que le délitement des régimes politiques irréformables actuellement en place dans la plupart des États d’Afrique connaitra un même continuum dévastateur avec un risque accru de guerres civiles, politiques ou tribales telles qu’observées en Ethiopie entre 2020 et 2022, et récemment au Soudan depuis mi-avril 2023.
Pour ce faire, il est urgent et fort nécessaire que les instances et organisations internationales ou régionales attirent l’attention des dirigeants politiques actuellement en place afin que soient entreprisses des efforts politiques et sociaux-économiques pour tenter de normaliser et restructurer ces systèmes politiques en ouvrant et en démocratisant l’espace publique. Car, l’inobservation du mal présent causera inexorablement à l’avenir de nombreuses pertes en vie humaine et des catastrophes humanitaires sans précédent.
Dr. Bitouloulou Christopher Jivot
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